« BON, ET APRÈS TOUT,
À QUOI ÇA SERT LA LITTÉRATURE? »
I
Sur l'étiquette de cette bouteille
il y a un aigle les ailes ouvertes
Je pense qu'un artiste commercial probablement mal payé s'est efforcé de le dessiner
en le regardant
regardons-nous l'aigle qu'il a imaginé ?
ou l'aigle de notre souvenir ?
ou regardons-nous peut être l'idée de l'aigle ?
ou regardons-nous l'aigle qui à cet instant là ouvre les ailes sur la bouteille de Médoc ?
II
en dessous de l'aigle
un petit château
dresse sa façade
devant nos yeux
grâce à l'application soignée
des lois de la perspective
en y mettant un peu
de notre part
cela donne l'illusion de la réalité
et les nuages légèrement dessinés se détachant du ciel
fait de points noirs nous donnent la sensation d'un jour ensoleillé
III
le goulot de la bouteille transpercé par la lumière est un contraste de verts
les uns obscurs les autres lumineux
à ce moment ces verts parlent
un langage plus clair que celui des humains
lequel après tout
dans le meilleur des cas
n'est
qu'un essai pour le déchiffrer
ou peut être
est ce
un essai
non pas de déchiffrer
ce qui après tout
est indéchiffrable ?
faute d'être codé
faudrait-il le coder ?
IV
quand j'y pense un peu
je me rends compte que le langage de l'ordinateur et celui des images poétiques
sont simplement deux langages
aussi valable l'un que l'autre
je dis ceci consciente du scandale que produira
pareille formulation
et cependant
pourquoi ne pas reconnaître par exemple que le mythe
est un langage que maintenant à distance
il nous paraît suggestif mystérieux riche
plus vrai que d'autres
seulement parce que nous méconnaissons sa
grammaire ?